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Colloque International

Le travail, les techniques et le monde

Université du Minho (Portugal)

(28 et 29 Octobre 2010)

           

Le titre du colloque nous renvoie à deux thèmes d’importance majeure en sciences sociales : le travail et les techniques, dont les courants critiques de filiation marxiste ont démontré la pertinence en soulignant notamment le caractère central du travail et la dimension sociale de la technique. En rappelant d’abord l’étymologie du mot « travail » qui nous renvoie à sa dimension punitive (tripaliare = travailler = torturer), puis la polysémie du concept dans l’histoire et dans les sociétés, enfin les contributions des philosophes et socialistes utopiques, Marx fut d’une certaine façon un innovateur, en renouvelant la conception occidentale du travail : c’est une activité produisant des valeurs d’usage et d’échange qui dans le cadre de la production capitaliste, ne s’appréhende plus seulement comme une transformation humaine de la nature mais aussi comme un rapport de classes. Dans la perspective structuro-fonctionnaliste, le travail fut pensé comme une base permettant d’affecter un statut social à chacun et pour produire des indicateurs de classification professionnelle. Quelles que soient ces perspectives théoriques, le travail ne se réduit pas à des dimensions structurelles de mise en ordre du social, il intègre aussi nécessairement des dimensions et valeurs, de gratification et d’utilité sociale par exemple, car il est socialement construit à travers des actions affectées de sens par tous les acteurs sociaux.

Par ailleurs, Marx et Engels ont fait de la technique un facteur essentiel pour comprendre et expliquer des dynamiques, sociales, politiques et symboliques à travers l’histoire. Plus tard, les auteurs neo-marxistes et interactionnistes (Weber, Simmel, Barth, parmi d’autres) ont proposé des approches multidimensionnelles du travail articulé au social, en approfondissant la problématique des relations entre les techniques, l’économie, le politique, le culturel et le religieux. Ils ont ainsi ouverts de nouveau regards et suscité de nouvelles recherches sur des thèmes, des échelles d’observation et des problématiques extrêmement diverses – faisant émerger le champ hétérogène des études sociales et culturelles des sciences et des techniques –, offrant un large éventail d’options analytiques mises en débats. Si pour les premiers auteurs, la technique constituait un fondement de la société et du monde politique ou symbolique, pour les seconds elle n’est compréhensible que dans le cadre de l’action humaine et, pour d’autres encore, comme Parsons, c’est la pensée qui constitue l’élément structurant de la technique.

Problématiser la technique à la lumière de ces perspectives sociologiques et anthropologiques a le mérite de prendre en considération les conditions matérielles objectives de son émergence et de son développement. Ces perspectives amènent aussi à considérer sans les séparer les contextes sociaux et leurs dimensions subjectives dans le déroulement des actions techniques. Finalement, il s’agit, d’un côté, de savoir dans quelle mesure les actions sociales ne sont pas déterminées pour les techniques et, de l’autre, à quel point certain savoirs et procédures immatérielles, rituelles, performatives et linguistiques, qui ne sont pas strictement des techniques, doivent ou non être incorporés dans une analyse technologique. Cependant, si l’on vérifie que l’immatériel se dilue et/ou se confond au  matériel, ne devient-il pas pertinent d’interroger sur un plan épistémologique-théorique la place de la technique comme un élément pertinent des phénomènes sociaux d’une part et son articulation aux  autres facteurs et niveaux d’analyse d autre part : quels sont par exemple les influences des modèles, des messages et des images produites par les microprocesseurs et l’internet dans notre vie ordinaire?  

Étant donné les trois piliers de la science – la matière, la vie et la connaissance – qui ont donné lieu à trois grandes révolutions technoscientifiques – le quantum pour la découverte de l’atome, le biomoléculaire pour celle du gène et l’informatique pour celle de l’ordinateur –, c’est aujourd’hui une évidence qu’indépendamment des divers regards théoriques portés sur le travail et sur les techniques, celles-ci ont profondément bouleversé les manières de travailler et de vivre, en intégrant les processus manuels et mentaux dans l’automatisation et en réduisant la souffrance de certaines tâches dans la chaîne productive. On ne peut pour autant parler encore d’une réduction générale de la monotonie ou du caractère aliénant du travail. La technicité croissante a aussi altéré les processus productifs et les conditions de mobilisation de la force de travail, elle a contribué enfin à une reconfiguration en profondeur des tâches, des positions et des identités au travail.

Les structures, les dynamiques et l’intensité de la mondialisation ne sont pas compréhensibles sans tenir compte du rôle primordial joué par les techniques. Aujourd’hui, ce ne sont d’ailleurs plus seulement les marxistes qui soulignent la capacité structurante de la technique dans la société mais ce sont aussi les néolibéraux qui valorisent, bien qu’avec une charge idéologique considérable et distincte des premiers, les « vertus » rédemptrices de la technique (et du travail). Si les néolibéraux font par exemple l’éloge des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ou des processus d’automatisation, d’autres auteurs, surtout marxistes, nous alertent sur les risques et les nouvelles questions éthiques qui émergent de ces bouleversements induits par l’omniprésence de la technologie. Ils dénoncent notamment le rôle joué par les NTIC dans la destruction des qualifications et des identités, provocant frustrations et mécontentements. De fait, les nouvelles technologies ne sont pas plus hier qu’aujourd’hui porteuse d’une homogénéisation du monde car elle produisent segmentation et dualisation du travail. Les nouvelles technologies, présentes dans la production comme dans les échanges de biens et de services, efficaces en matière de compression de l’espace-temps, circulent aussi comme marchandises et contribuent de ce fait à reproduire les asymétries entre pays ou classes sociales. Cependant, on constate aussi qu’en tant que potentielles “machines” à produire du changement dans divers champs sociaux, en particulier dans les modes de production et l’organisation du travail, les techniques, provoquent de nouvelles formes de résistance, les révélant ainsi comme de véritables instruments de contestation contre les inégalités et comme des ressources stratégiques pour revendiquer ou construire de nouvelles formes de citoyenneté.

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